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Tool – Fear Inoculum

13 ans, voilà le delta de temps entre les deux derniers albums de Tool. Une éternité, un soulagement, l’arlésienne la plus fameuse de la musique est enfin finie. Maintenant, on entre dans la phase la plus compliquée : analyser un album de ce quatuor.

Si on en croit le site officiel du Larousse, la peur se définit de 4 manières :


– Sentiment d’angoisse éprouvé en présence ou à la pensée d’un danger, réel ou supposé, d’une menace (souvent dans avoir, faire peur) ; cette émotion éprouvée dans certaines situations : « Trembler de peur ».
– Appréhension, crainte devant un danger, qui pousse à fuir ou à éviter cette situation : « La peur du ridicule ».
– Crainte que quelque chose, considéré comme dangereux, pénible ou regrettable, se produise (surtout dans
avoir peur) : « Les médecins ont peur qu’il s’agisse d’une pneumonie ».
– Crainte du jugement, des réactions de quelqu’un, qui fait qu’on adapte son comportement, qu’on obéit à certaines consignes : « Elle a plus peur de son grand frère que de son père ».

https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/peur/60046

On est tous confronté à la peur, quel que soit le moment, l’endroit, la situation. On a tous ressenti ça, au fond de nous. Cette boule au ventre qui vient à nous faire douter, nous faire regretter des choix ou au contraire appréhender quelque chose. Si je vous parle de ça c’est parce que j’ai connu ça à deux reprises concernant le nouvel album de Tool. Dans un premier temps, je me demandais à quelle sauce j’allais être mangé. La musique des Californiens est tortueuse, complexe, magistrale. Allais-je apprécier ce 5e album ? Avais-je mis ma barre de hype trop haut ? Est-ce que j’allais me retrouver submergé par les notes, les ambiances, les idées du groupe ?

La première écoute s’est déroulée et cette crainte s’est évaporée. A ma grande surprise, je n’avais même pas peur d’y retourner, au contraire. J’étais impatient, à chaque écoute, de découvrir et redécouvrir des passages. C’est la force de Tool, nous permettre d’être émerveillé à chaque moment par quelque chose de différent à chaque fois. Au début c’est Danny Carey qui nous en met plein les oreilles par son jeu de batterie reconnaissable entre 1000. On en vient à sourire bêtement à chaque roulement tribal effectué. Et puis après c’est Adam Jones qui nous prend par la main et qui nous montre l’étendue de son talent. Si chaque auditeur a son passage favori, « Pneuma » m’a immédiatement scotché, au point que j’y retourne assez régulièrement. Ce riff d’intro va directement dans mes veines.

Si ça ne suffisait pas, il y a les parties de basse de Justin Chancelor qui sonnent juste à chaque reprise. Quand il faut faire simple, il se calme, quand il a un peu de liberté, il s’exprime et laisse parler son talent. Un régal à écouter, peut-être moins à jouer, mais je laisserai mes amis bassistes en juger. Et puis, Maynard James Keenan. Beaucoup le critiquent pour son manque de cris dans cet album. Mais vu l’ambiance développée, pourquoi crier ? Il voltige entre douceur sensuelle et violence contenue à travers les 6 titres sa voix est mise à contribution. De son propre aveu, il souhaitait apporter une subtilité que les albums précédents n’avaient pas. Une réussite totale.


« When I listen back to some of the earlier vocals, there are some qualities to those, but all I can hear now is incorrect vocal practices. Aggression’s fine, but it’s not sustainable. There’s no range to it. There’s a lot of…mostly screaming [laughs].
I can do that now, and make it so I’m not causing permanent damage to my vocal cords, and in the process actually open up [myself] to more subtlety within that vocal. « 

https://tonedeaf.thebrag.com/maynard-tool-album-interview-only-so-many-chances/

Mais à force de l’écouter, une nouvelle peur est apparue : comment en parler ?
Cette question fut entourée de tout un tas d’autres appréhensions. Est-ce que je vais être cohérent ? Est-ce que les fans de
Tool ne vont pas me tomber dessus ? Ai-je le niveau pour parler d’un tel disque ?

Je me suis questionné, j’ai demandé de l’aide pour me sortir de cette spirale alors qu’au final, la réponse était sous mes yeux, ou plutôt dans mes oreilles. Deux titres de cet album furent ma libération mentale. Tout d’abord, le morceau d’ouverture « Fear Inoculum » qui parle justement de ne pas se laisser envahir par la peur. Ensuite, « Culling Voices » qui met en garde contre les méfaits de l’auto discussion. A force de se parler à soi même on peut se convaincre de choses qui sont, au final, néfastes. Ces deux titres et ces deux histoires racontées m’ont fait prendre conscience que ce Fear Inoculum n’était qu’un album de plus à chroniquer.

Ce qui a fini de me convaincre, c’est que cette peur on la sent dans cet album. Les chansons et leurs thématiques sont très proches de ce qu’ont vécu les membres du groupe. Avoir peur de ne plus être en vogue, d’être passé de mode et de devoir se battre pour montrer qu’on reste important, c’est ce qu’évoque « Invincible » et ses influences très Rush dans certaines parties.
Retarder autant sa sortie parce qu’on a peur de ne pas sortir le meilleur de soi, c’est ce qui ressort des interviews de Maynard après la diffusion de cet album, mais aussi l’acceptation de n’être plus aussi important qu’à l’époque.


“Probably if I had to ‘psychology 101’ [it], I would have to say ‘Well yeah, that’s why it would take 13 years to write something, because you’re paranoid that it’s not gonna be the best that it can be.’ Then you second-guess every single step that you make, when it was probably good enough – I shouldn’t say good enough – it was fantastic eight years ago.
But then the crippling second-guessing of yourself sets in, and that psychology and that spiral you get in, it can be extremely daunting. And you can actually not even feel it happening.
All of a sudden you wake up and it’s thirteen years later. The hard part is accepting the fact that maybe you’re not nearly as important as you think you are and you should probably just get on with it.”

https://www.kerrang.com/the-news/maynard-james-keenan-speaks-about-the-crippling-fear-surrounding-tools-new-album/

Une fois qu’on sait ça, pourquoi avoir cette appréhension d’en parler ? On en revient au principe de base de la musique : la partager. On discutera toujours de tel ou tel album et ce Fear Inoculum ne doit pas être mis à l’écart. Alors oui, j’ai adoré ce disque. Dès la première écoute, la production m’a frappé. Elle est d’une douceur telle qu’on ne sent absolument pas l’heure et demie passer dans nos oreilles. Pourtant les morceaux sont loin d’être lisses et inintéressants. Mais le travail du groupe couplé au génie de Joe Barresi fait qu’on est scotché.
Musicalement, on est devant 6 titres dépassant les 10 minutes, 3 interludes et 1 solo de Danny Carey sur des synthés. Pour ne pas vous mentir, je me range dans le camp de ceux qui considèrent que les interludes & le solo ne sont pas d’une grande utilité. Heureusement, ce n’est qu’une légère fausse note.

Fear Inoculum est un album qui parle de Tool mais bien plus largement de la société. Entre la peur qui s’infiltre et qu’on doit éviter de laisser nous contaminer (« Fear Inoculum »), les dangers de l’auto persuasion et la montée de courant de pensée binaire qui fragilisent les débats (« Culling Voices ») ou bien les puissants qui corrompent les masses, et qui fuient leurs responsabilités une fois mis en lumière (« 7empest »). Vous l’aurez compris, la société n’est pas dans une phase joyeuse, constat contrebalancé par deux choses.
D’abord, « Pneuma » qui nous rappelle que nous ne sommes pas que des enveloppes physiques. Nous sommes des âmes et ce qui est le plus important pour Maynard On doit dépasser notre cadre physique et aller plus loin. D’ailleurs, Pneuma est un mot venant du Grec Ancien, qui dans un contexte religieux signifie « esprit » / « âme ». Aussi, l’album se termine par l’interlude « Mockingbeat » qui pour une grande partie laisse supposer que les Humains tuent la nature avec ce mélange de bruits d’animaux et de scratches qui rend l’ensemble un peu malaisant. Une suite logique à « 7empest » qui est un pamphlet contre l’égoïsme des Hommes. Cependant, sur la fin, seuls les animaux sont présents, de manière claire, laissant supposer que la nature reprendra ses droits.

Dans un univers musical il faut de plus en plus être formaté aux radios & aux TV pour survivre, Tool réussit le tour de force de sortir un album d’1h30 qui vous emmène dans un voyage dont on ne ressort pas indemne. Il est impossible de rester indifférent à leur musique, tant elle est unique. Lors de l’annonce de l’arrivée prochaine de ce Fear Inoculum, beaucoup dissertaient sur la possibilité qu’on se retrouve à dire : « 13 ans pour ça ? », doutant, avant même avoir écouté un titre, de la capacité du quatuor californien à sortir quelque chose de réussi. Sauf qu’on est en septembre 2019 et que Tool vient de claquer l’album de l’année. Rien que ça.

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