Granny Smith

Acidité garantie depuis 2011.

« Witness » (VOLA) : Une confirmation aux airs de nouveauté

Au sein d’une scène progressive toujours plus moderne, le vent de nostalgie stylistique arrivé lors de la dernière décennie a fait énormément de bien à un mouvement déjà bien établi. VOLA fait clairement partie des grands noms incarnant merveilleusement bien cette mouvance. Après un second disque sorti en 2018, Applause of a Distant Crowd, adulé par la presse spécialisée, et une tournée européenne enrôlée de succès en 2019, le quatuor suédo-danois revient cette année avec son troisième album : Witness.

La formation originaire de Copenhague en aura fait du chemin, elle qui fête en 2021 ses quinze années d’existence. A travers ses deux premiers efforts discographiques, le quatuor a montré deux de ses facettes différentes. Inmazes, l’inaugurateur de leurs débuts sur un projet longue durée, se voulait comme un album de Djent, à la fois très moderne mais aussi nuancé et mélodique. Son successeur, Applause of a Distant Crowd (dont vous pouvez retrouver la chronique sur GrannySmith.fr), marque un changement stylistique marqué par l’apparition d’influences plus vintages ainsi que par l’arrivée d’un nouveau batteur : le suédois Adam Janzi. Ces deux manifestes ont permis de montrer les grandes qualités inhérentes à VOLA, mais également de rapidement les faire grimper au statut de référence du genre. Witness représente donc beaucoup pour la carrière du groupe suédo-danois, étant très attendu par les fans, mais aussi perçu comme l’espérance d’une confirmation.

L’un des premiers choix intelligents opéré par la formation est de placer en début d’album les trois singles opérant la promotion de ce troisième opus. Ce dernier s’ouvre donc sur “Straight Lines”, succédé par “Head Mounted Sideways” ainsi que par “24 Light Years”. Cette décision permet une pleine découverte du reste du disque, sans être interrompue par un morceau déjà connu, renforçant alors le sentiment d’immersion. Cette sensation est d’autant plus importante que VOLA utilise des sonorités très denses mais aussi souvent très atmosphériques et ambiantes. Le but du collectif est de vous plonger dans un univers paradoxalement très froid et très lumineux, comme s’il souhaitait rendre l’austérité belle et placide. Les ariettes chaudes et douces propres au quatuor sont toujours présentes et maniées avec une grande maîtrise et beaucoup de justesse, créant dès lors de véritables moments de grâce émotionnelle, sublimés par la magnifique voix d’Asger Mygind. Avec sa tessiture atypique, celui qui est aussi guitariste parvient à merveilleusement coller aux compositions, apportant une touche de finesse et de mélancolie homérique d’une beauté folle.

Malgré ce qui pourrait presque s’apparenter à un cahier des charges, Witness propose son lot de nouveautés, pratique coutumière chez le groupe. L’exemple le plus marquant et le plus flagrant est la quatrième piste de l’album “These Black Claws” signant une collaboration avec l’artiste Hip-Hop néerlandais Shahmen. Outre le chant de ce dernier à la limite du rap, l’instrumentation s’inspire du projet originaire d’Amsterdam avec notamment des mélodies directement tirées de ce monde musical. Le titre et sa ligne mélodique font penser au travail qu’a pu abattre KoRn au sein de son culte Follow the Leader. Ce terrain-là était jusqu’à lors une terre encore inexplorée, on assiste donc ici à une première dans la carrière de VOLA, prouvant que le quatuor n’en a pas fini d’affiner son esthétique sonore. On peut aussi noter la présence d’une balade qui d’ailleurs suit le morceau précédemment évoqué dans lequel une guitare acoustique vient se faufiler et créer une vraie ambiance bucolique, supportée par les parties de piano toujours interprétées par Martin Werner. Ce climat colle particulièrement bien à la peau des suédo-danois qu’ils manient avec beaucoup de parcimonie. On peut comme usuellement avec le collectif entendre des morceaux aux dynamiques changeantes avec entre autres des riffs très agressifs emplis de distorsion couplés à des refrains lumineux et très accrocheurs. Pour illustrer cette tendance on peut mettre en avant des morceaux comme “Head Mounted Sideways”, “Stone Leader Falling Down” ou encore “Futur Bird”. Ces passages plus bruts sont d’ailleurs empreints d’une influence majeure pour le Djent, à savoir les pères fondateurs du mouvement : Meshuggah. Rythme plus lent, plus lourd, marquant une certaine volonté de renouer avec les bases stylistiques de la formation.

Cela pourra constituer un défaut pour certains, un point pour d’autres, mais à travers Witness, VOLA s’émancipe de ses influences héritées du Rock Progressif maître des années 70’s pour se diriger vers des sonorités plus contemporaines. Cette direction s’illustre notamment par la présence de sonorités tirées de mouvements artistiques plus récents comme le Hip-Hop et le Rap sur la piste “These Black Claws” , les effets programmés comme sur “Napalm” mais aussi par la présence d’effets comme le vocoder sur le titre “Head Mounted Sideways”. Le quatuor fait évoluer son style en se rapprochant plus de ses premiers faits perçus sur Inmazes tout en y apportant des éléments nouveaux. Cette démarche étant soutenue par la production épurée de Jacob Hansen qui a notamment pu travailler avec Volbeat ou encore The Black Dahlia Murder. Ce nouveau disque constitue également la suite de l’intégration déjà esquissée sur Applause of a Distant Crowd du batteur Adam Janzi au sein de la formation. En offrant une prestation excellente en tous points, le suédois montre à quel point le musicien s’est adapté rapidement et l’importance qu’il peut avoir en implantant ses idées dans les différentes compositions. Son compère au sein de la section rythmique, à savoir le bassiste Nicolai Mogensen met en avant des lignes de basse toujours très bien écrites et interprétées d’une main de maître. Ce nouvel album met en lumière une osmose artistique totale, permettant une cohérence maintenue durant tout son long.

Moins aérien et posé que son prédécesseur, ce troisième opus n’est pas pour autant une pièce dénuée de toute émotion. Non seulement les refrains marqués par les envolées vocales d’Asger Mygind offrent de véritables moments de légèreté et de beauté mais certains titres ont aussi cet effet. Les pistes “24 Lights Years” et “Freak” sont les deux morceaux vidés (ou presque) de toute saturation, opérant une pause au milieu du disque, étant séparés par le très mélodique “Napalm”. Malgré ces deux apartés, on ne retrouve pas le caractère très apaisé et éthéré présent sur Applause of a Distant Crowd. Ce troisième disque se focalise sur une musique plus brute, bien plus proche du Djent et du Métal Progressif moderne qu’ils pouvaient l’être en 2018. L’ouverture de Witness nous met par ailleurs dès le départ dans le bain, avec l’introduction de “Straight Lines”, à la fois très subtile mais aussi directe. Cette intromission pose de suite le décor, et annonce la suite et le ton global du disque.

Thématiquement, le groupe, à travers ses paroles aborde les mêmes sujets que sur le précédent album, à savoir notre société et les relations créées en son sein. Mais contrairement à Applause of a Distant Crowd, ce troisième disque se concentre sur leurs dérives et leurs dysfonctionnements et notamment les rapports de force entre les “dirigeants” et les “suiveurs”. Ce qui explique le ton plus froid et brut de ce nouvel opus. On y observe l’évocation d’un pouvoir abusivement utilisé de la difficulté de s’en défaire dans le morceau “Straight Lines” selon les dires d’Asger Mygind. Le clip du single représente d’ailleurs bien cette idée de volonté de fuir pour retrouver sa liberté. Le titre de ce nouvel opus Witness (“témoin” en français) place VOLA comme subissant ce système de l’intérieur, et, faute de pouvoir s’en émanciper, nous conte son fonctionnement et ses effets. On peut se douter que leurs nombreuses dates réalisées en accompagnant des groupes aux noms prestigieux comme Dream Theater, Haken ou Anathema ainsi que dans des festivals de renom ont sans doute pu guider ce témoignage. L’interprétation de la pochette réalisée par le photographe suisse Gregor Huber représentant un œil vu de près appuie cette pensée. Cette vision est en fait la nôtre, le groupe nous rendant témoin de ce qu’il dévoile à travers sa musique.

Pensé, écrit et interprété par un VOLA au meilleur de sa forme, affichant une grande complémentarité entre ses quatre membres, Witness confirme tout le talent de la formation suédo-danoise. Diguant toujours entre le Métal Progressif et le Djent, en y apportant une touche mélodique très singulière, le quatuor prouve son statut de gros poisson au sein d’une scène progressive toujours plus bondée. A la fois technique, touchant et très cohérent, le groupe originaire de Copenhague s’illustre comme étant une valeur sûre de son univers musical, à la fois constant mais en cherchant constamment une certaine évolution. Incorporant une nouvelle fois une dimension engagée à son univers, le groupe explore plus en profondeur des thématiques qui lui sont chères, tout en maintenant une qualité et une rigueur toujours au rendez-vous.

Au Suivant Poste

Précedent Poste

© 2024 Granny Smith

Thème par Anders Norén