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The Machine is Burning and Now Everyone Knows it Could Happen Again (BRUIT ≤) : Un marginal prodigieux

Il arrive qu’un groupe débarque de (presque) nul part avec un statut s’apparentant à celui d’un prodige. Critiques de la presse spécialisée et des auditeurs dithyrambiques, grande présence médiatique et nom qui grimpe rapidement. Ce cas-là s’avère être celui de BRUIT ≤, collectif français qui plus est, plus précisément originaire de Toulouse. Ces derniers se sont démarqués très récemment auprès d’un public friand de Post Rock instrumental grâce à leur tout premier album, intitulé The Machine Is Burning and Now Everyone Knows It Could Happen Again.

Composer une œuvre musicale vide, ou du moins quasiment, de paroles demeure être un exercice d’une grande complexité. D’autant plus lorsque la formation en question désire transmettre un message à travers son travail. Tout d’abord, il faut que le propos mélodieux soit bon, correctement pensé et parfaitement interprété, après tout c’est le seul et unique point d’attache de l’auditeur. Il faut également que le discours prononcé soit cohérent et décemment énoncé. C’est la problématique à laquelle BRUIT ≤ s’est heurté avec ce premier opus discographique longue-durée. Ici l’objectif du quatuor est de délivrer une critique envers l’invasion de l’Homme sur cette Terre, ainsi que sur ses dérives aux tendances autodestructrices.

Le quatuor toulousain énonce son discours de différentes manières. Le titre de cette pièce par exemple est assez communicatif concernant le point de vue de la formation : à la fois pessimiste mais aussi très réaliste sur l’état du monde actuel. La machine décrite dans le patronyme de ce premier disque faisant directement référence au microcosme humain. Les interventions parlées exposent également les convictions des membres de BRUIT ≤. Le morceau d’ouverture, “Industry”, propose un extrait audio rapportant les dires du regretté biologiste et généticien lyonnais Albert Jacquard. Ce dernier y exprime son avis sur la question de la compétition omniprésente dans nos sociétés modernes qui, selon lui, ne rime à rien. Il va même plus loin en avançant qu’elle corrompt l’esprit et les pensées des jeunes générations, cherchant à tout prix à être les meilleurs. L’autre aparté lyrique est lui présent sur l’avant-dernière piste de l’album : “Amazing Old Tree”. Cette fois, le groupe aborde ses idées écologistes, émises à travers une citation en deux temps tirée d’un documentaire nommé “If a Tree Falls : A Story of the Earth Liberation Front”. L’activiste interrogé délibère sur la dénomination “environnementaliste radical” en mettant en exergue le fait accompli que ce sont ces mêmes personnes les qualifiant comme tels qui sont les bourreaux de 95% des forêts indigènes aux États-Unis. Le grand point fort de cette méthode est qu’elle est ici utilisée de manière très respectueuse du propos musical. Rien n’est forcé, l’enchaînement paraît naturel, comme étant fait pour être articulé de la sorte. Les transitions sont fluides, le tout s’écoutant d’une seule traite, afin de bien saisir et de bien s’imprégner de la pertinence et la lucidité du propos.

L’un des autres moyens d’expression idéologique employé par le groupe est constitué par la manière dont il diffuse sa musique. Leur démarche est le refus pur et simple de passer par une grande institution de distribution musicale comme peuvent l’être des plateformes telles que Deezer ou encore Spotify. Le quatuor se veut comme appartenant à un circuit bien plus indépendant et direct. C’est la raison pour laquelle le meilleur moyen d’accéder au disque est de passer par leur page Bandcamp ou par la chaîne YouTube WherePostRockDwells ou se trouve l’album dans son entièreté. Cette manière de fonctionner permet certes, une visibilité moindre, l’accès à leur musique étant plus difficile, mais admet une certaine cohérence avec les valeurs que BRUIT ≤ défend. Critiquer l’immense machine qu’est l’industrie dans son sens le plus global implique d’agir en conséquence.

Musicalement, le travail du groupe demeure également très intéressant. Nous avons ici à faire à un Post Rock accompagné d’une orchestration très bien incorporée, rendant ce premier album riche et dense tout en y ajoutant une émotion très subtile mais efficace. La présence d’instruments à cordes est notamment due à la présence d’un violoniste ainsi que d’un violoncelliste en la personne de Clément Libes et de Luc Blanchot dans le line-up. Ces derniers sont également assistés par des musiciens de session venant compléter les arrangements dits “classiques”. On peut respectivement y entendre de la clarinette, du cor français, du trombone basse ou encore du Vibraphone. Cette démarche est très cohérente avec la vision musicale que souhaite partager BRUIT ≤. Une œuvre touchante, langoureuse et emplie de mélancolie. Malgré tout, The Machine is Burning and Now Everyone Know it Could Happen Again n’est pas qu’une pièce froide et rigide. Loin de là. Ce premier disque contient de véritables moments de majestuosité et de lumière presque divine comme l’introduction du titre “Amazing Old Tree”, constituant une sublime ode à la nature. L’harmonie créée par la grande richesse issue des différents instruments présents instaure une atmosphère très réussie, ayant un ton presque tragique. A la fois abondant mais aussi très minimaliste, le partie pris de BRUIT ≤ est de se concentrer sur la création d’ambiances, comme pour faire de ce premier album une seule et même piste, subdivisée en quatre parties distinctes. La batterie d’effets présente associée à son instrumentation directement héritée de la musique classique donne énormément de corps et fraîcheur à ce premier album.

Il est presque impossible de ne serait-ce qu’imaginer écouter cette pièce d’une autre manière que d’une seule traite. L’alliance de chacun des quatre morceaux fonctionnant à merveille, que ce soit en termes de sonorités ou en termes de production. Malgré une utilisation assez poussée des effets, le ton de ce premier manifeste reste clair, très compréhensible. BRUIT ≤ manie la mesure et la subtilité avec beaucoup de maîtrise. Offrant même des moments durant lesquels l’instrumentation électrique est mise de côté comme sur le sublime « Renaissance ». Avec sa boucle de guitare acoustique, sobrement accompagnée par différents instruments à cordes frottées, offrant alors une véritable respiration. Suivi de très près par « Amazing Old Tree », très progressif et contemplatif, mais déjà un peu plus brumeux dans sa forme.

Toute l’affluence autour de BRUIT ≤ n’est pas imméritée, elle est même digne de la qualité de son manifeste longue durée introducteur. The Machine is Burning and Now Everyone Knows it Could Happen Again montre une vision déjà très aboutie d’une formation encore à ses débuts dans le monde de la musique. Très progressif et lancinant, le quatuor parvient à construire une réelle montée en puissance. Comme le démontre le signe des crescendi accolé à leur patronyme, ce dernier use d’une certaine langueur, pour y imposer son atmosphère. Particulière, à la fois douce, prenante mais aussi très puissante. Le groupe toulousain crée à travers ce premier album une grande source d’espoir laissant présager un avenir radieux. Pourquoi pas même devenir l’un des gros noms mondialement reconnu lorsqu’il s’agit de Post Rock. A la fois intelligent et très touchant, voilà un sérieux prétendant aux places du meilleur album du genre de ce début de décennie.

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